De l’Indochine coloniale au Vietnam libre. Je ne regrette rien.

Par Albert CLAVIER, Editions Les Indes Savantes, 2008, 208 pages

Albert Clavier

Quel parcours ! A 82 ans, Albert Clavier nous livre un récit de souvenirs qui marque la force de ses engagements, de ses idéaux. « Je ne regrette rien » : derrière la formule par laquelle il assume ses choix, Albert Clavier laisse percevoir les renoncements, les difficultés. C’est d’ailleurs une des forces du récit. Témoin privilégié d’une période conflictuelle, Albert Clavier fait entendre la voix d’un jeune soldat français « rallié » au Vietminh dès 1949. On sort impressionnés de la lecture des pages consacrées à l’expérience vietnamienne. Le témoignage d’Albert Clavier, est unique et s’efforce constamment d’être lucide.

Une enfance dauphinoise

Albert est né en 1927, benjamin d’une famille pauvre de cinq enfants, dans un village du Vercors, aux Saillans-du-Guâ. En 1940, à 13 ans, il doit quitter l’école. Il est d’abord « loué » dans une ferme puis va vivre au Rondeau, à Grenoble avec sa « vieille maman » et son grand frère Henri qui a trouvé du travail à la Viscose. En 1939, à 12 ans il adhère au parti communiste sous l’influence de son frère Henri, de dix ans son aîné, mais il est trop jeune pour entrer dans la Résistance. Albert doit veiller sur sa mère ; il est tour à tour ouvrier-maraîcher, manœuvre, mitron. Adieu les rêves de devenir artiste- peintre ou journaliste ! 1943, Henri est arrêté et déporté à Buchenwald.
1945, la Libération – Albert qui « n’est jamais sorti de son trou » s’engage dans l’artillerie coloniale, pour sortir de sa misère, pour voyager, par esprit d’aventure, pour donner un sens à sa vie, sans trop savoir ce qui l’attend. « Je manquais d’instruction, dit-il ». Henri, de retour de déportation, lui explique son erreur : « Veux-tu participer à la recolonisation ? » Malgré plusieurs tentatives pour échapper au départ, Albert embarque pour l’Indochine, en mars 1947.

Découverte de la réalité coloniale

Dès son arrivée à Saigon, il découvre la réalité coloniale : la misère des quartiers indigènes, la ségrégation, la violence. À Haiphong puis à Langson où son unité est cantonnée, il est témoin de scènes cruelles : la population locale est durement traitée, un soldat français identifié comme « communiste » est tabassé à mort.Impuissant, il se tient à l’écart des autres militaires français, s’évade dans la forêt, chassant les papillons, chaque fois qu’il le peut. Et c’est ainsi qu’il fait la connaissance de militants du Viet-Minh avec qui il discute de la situation politique, auprès de qui il conforte son sentiment de ne pas être du bon côté. Jusqu’à ce jour de décembre 1949 où il choisit de « se rallier » et non de « déserter ». « On déserte quand on a quelque chose à se reprocher, pour échapper à la justice ou pour ne pas se battre, par lâcheté. […] Je ne peux pas me résigner à combattre dans une armée au service d’une doctrine coloniale qui réprime dans le sang la lutte d’un peuple pour son indépendance, sa liberté. » p.51.

Dans le maquis vietminh

De 1949 à 1954, Albert – rebaptisé Ngo-An, le Pacifique – partage la vie des maquisards, connaît la faim, la maladie, les souffrances dues au climat, à une vie rudimentaire, souvent sous terre, pour échapper aux attaques françaises. Il apprend le vietnamien, se voit confier plusieurs missions, d’abord pour le mettre à l’épreuve puis des missions de confiance.
Missions de propagande au moyen d’un « haut-parleur » nécessitant des déplacements, pénibles et dangereux, pour tenter de « rallier » les soldats de l’armée française issus en majorité de pays colonisés (Sénégalais, Marocains…)
Il est « speaker » en français à la radio clandestine « Voix du Vietnam » puis remplit une mission de regroupement des prisonniers. Il devient responsable d’un camp de « ralliés ». Jamais il ne participera à des actions armées contre les Français. Jamais on ne le lui demandera.

Sa vie dans le Vietnam libre

1954, Dien Bien Phu, Accords de Genève – C’en est fini de la clandestinité, Albert Clavier rentre à Hanoï. Rentrer en France, il n’en est pas question ! Albert y est condamné à mort. Au Vietnam, son deuxième pays, il va participer au grand mouvement de reconstruction, lancé par Ho Chi Minh. Le pays, dévasté, est à redresser : voies de communication, écoles, hôpitaux… La réforme agraire votée en 1953 et appliquée en zone libre est étendue à la zone libérée, non sans excès.

Proclamation de la République du Vietnam, Saigon le 26 octobre 1955
En mai 1955, le commandant de l’armée populaire vietnamienne, Albert Clavier, est démobilisé et affecté au service de propagande avec l’étranger. Le voilà journaliste, lui qui n’a pas fait d’études mais qui avait rêvé de le devenir. En 1956, il épouse Oanh, une jeune vietnamienne avec qui il aura deux enfants, France et Maurice. Mais la situation devient difficile : la maoïsation du gouvernement vietnamien conduit à des suspicions qui font d’Albert Clavier un « paria ». Le cœur n’y est plus, la vie est trop dure, les tracasseries quotidiennes.

Proclamation de la République du Vietnam, Saigon le 26 octobre 1955
Proclamation de la République du Vietnam, Saigon le 26 octobre 1955

Retour en Europe et… en France

Albert Clavier à Saint-Laurent-du-Pont

En 1963, après son divorce et son remariage avec une cantatrice vietnamienne, Albert Clavier quitte le Vietnam pour la Hongrie où il devient « permanent » de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMDJ). Le travail lui plaît : il côtoie des jeunes, il voyage…mais ne peut toujours rentrer en France.
En 1968, il est amnistié et peut retrouver sa famille, à 41 ans, après 23 ans d’absence !
Suivent des années intenses, mais moins extraordinaires comme « hommes d’affaires », en Hongrie, dans la compagnie Interagra, présidée par JB Doumeng, le « milliardaire rouge ».
Puis ce sera l’âge de la retraite, en 1992, et le retour en France, à Champ-sur-Drac d’abord puis à Saint-Laurent-du-Pont où sa fille France a ouvert un restaurant vietnamien.
C’est lors de sa retraite en Isère qu’Albert Clavier a écrit ce récit d’un parcours hors du commun.
Albert Clavier est décédé en mars 2011 à 84 ans.

Lectures complémentaires

● Maximilien Le Roy s’est emparé de son récit de vie pour écrire et dessiner Dans la nuit la liberté nous écoute paru aux éditions Le Lombard en septembre 2011.
Dans la nuit la liberté nous écoute | Le Club de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/edition/…/dans-la-nuit-la-liberte-nous-ecoute

● L’entretien daté de 2003 entre Albert Clavier et l’historien Claude Collin.
Albert Clavier : « J’ai choisi le Viêt-Minh » – Cairn.info

Revue guerres mondiales et conflits contemporains

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