Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952)

Jaquette Immigrés de force

Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952) – De Pierre Daum, éditions Solin.

Nous avons rencontré Pierre Daum en décembre 2009 à Grenoble, où il venait présenter son ouvrage sur les « linh tho », ces oubliés de l’histoire.

Grand reporter au Monde diplomatique, Pierre Daum a mené l’enquête sur ces 20 000 travailleurs indochinois réquisitionnés par l’État français en septembre 1939, pour une sorte de « STO colonial » en métropole. La plupart de ces jeunes hommes étaient des paysans illettrés, issus de toutes les provinces du pays, qui ont été encadrés par des volontaires servant d’interprètes.

Un STO colonial

Pierre Daum raconte l’itinéraire de ces jeunes hommes : leur recrutement, le transport en bateau et leur affectation dans des usines d’armement. « Nous partons par le train à 40 dans des wagons à bestiaux. Nous dormons sur de la paille. Nous travaillons jour et nuit, en trois équipes. Nous sommes logés dans un camp. A l’usine la poudre jaune nous entre dans les cheveux, les yeux, les dents, la bouche… On n’arrive plus à manger. Tout est amer. On a perdu le goût, dit Lê Van Phu ».

Après la défaite de juin 40, 6000 d’entre eux seulement ont pu être rapatriés avant le blocus britannique. Les autres ONS « ouvriers non spécialisés » – connus sous le nom de « linh tho » en vietnamien- ont alors été répartis dans des camps, soumis à une discipline sévère, mal nourris, mal traités et surexploités. Le service de la main d’œuvre indigène (MOI) du gouvernement de Vichy qui les gérait les a loués aux Allemands et à des entreprises privées ou publiques. En fait, la MOI leur versait une indemnité ridicule, 1/10ème du salaire d’un ouvrier de l’époque, et empochait le reste.

Ils ont implanté la riziculture en Camargue

Les « linh tho» sont affectés dans les usines textiles de la région lyonnaise, des ateliers de métallurgie à Vénissieux, une usine de pneumatique à Clermont-Ferrand et Brive…mille hommes exploitent le sel en Camargue à Salin-de-Giraud, « qui fut le théâtre de la première grande rébellion, en août 1941 »…mais le plus grand nombre est affecté dans les exploitations agricoles et forestières. « Qui connaît la véritable origine du riz en Camargue ? demande Pierre Daum. » Dans le pays d’Arles, personne ne se souvient de ces Indochinois qui ont implanté la riziculture et réussi la première récolte en septembre 1942.

Culture du riz en Camargue par des riziculteurs indochinois
Culture du riz en Camargue
par des riziculteurs indochinois

Rapatriement bloqué par la guerre de libération vietnamienne

En 1945, ces hommes auraient dû rentrer chez eux, mais le mouvement de libération lancé par Ho Chi Minh est intolérable pour de Gaulle – l’ancien résistant – qui ne supporte pas la résistance des Indochinois et utilise les bateaux destinés à rapatrier les « immigrés de force », pour envoyer un corps expéditionnaire destiné à mater la rébellion. On sait ce qu’il en advint.

Les rapatriements commencent en 1948, la France souhaitant se débarrasser des agitateurs, et se poursuivent jusqu’en 1952. Certains « immigrés de force » ayant pris goût à la vie en France sont renvoyés de force. Plus de 1000 sont morts avant la Libération, de tuberculose pulmonaire ou osseuse.

L’ouvrage de Pierre Daum est passionnant,

souvent émouvant, car il donne la parole aux rescapés, 25 hommes rencontrés au Vietnam (14) et en France (11), et dont les témoignages sont authentifiés par les archives retrouvées.

Lors de la conférence donnée en décembre 200ç au palais du Parlement de Grenoble, Myriam et Annick Lê Huu ont évoqué la personnalité de leur père, Lê Huu Tho, mort en septembre 2009, qui a consacré sa retraite à l’écriture de son parcours : Itinéraire d’un petit mandarin, publié en 1996 (L’Harmattan) et à la réhabilitation des « linh tho ».

Avec Gilles Manceron, historien et président de la ligue des droits de l’homme, qui signe la préface de l’ouvrage de Pierre Daum, saluons l’initiative du maire d’Arles, Hervé Schiavetti (PCF), qui a reçu les derniers travailleurs vivant en France et leurs familles, le 10 décembre 2009. « C’est une première en France. Pour le moment l’état n’a eu que l’attitude de l’ignorance et du mépris. Le chemin jusqu’à la commémoration a été long et difficile. »

Usine Berliet à Vénissieux en 1944
Usine Berliet à Vénissieux en 1944

Mémorial sur le Net

Saluons aussi le travail de Joël Pham qui a découvert la vie de son père en lisant l’Itinéraire d’un petit mandarin et a voulu, à l’instar de Lê Huu Tho qui rêvait d’un mémorial en Camargue, créer un mémorial sur internet.
www.travailleurs-indochinois.org

Musée de l’Histoire et de l’Immigration

Un intéressant dossier sur Les travailleurs indochinois en France pendant la Seconde Guerre mondiale réalisé par Liêm-Khê Luguern, professeur d’Histoire-Géographie, doctorante IRIS (EHESS)
www.histoire-immigration.fr/…/les-travailleursindochinois-en-France-pe

Le livre est publié au Vietnam en 2014

Cinq ans après la publication d‘Immigrés de force en France, une traduction vietnamienne est sortie au Vietnam en novembre 2014, traduit par Mme Trần Hưu Khánh. La sortie du livre a donné lieu à plusieurs conférences notamment à l’Espace-Centre Culturel français à Hanoi.
Publié aux éditions Tri Thuc, le livre a pour titre: Lính Thợ Đông Dương Ở Pháp (1939-1952) – Một trang sử thuộc địa Bị lãng quên.
Un titre que l’on peut traduire ainsi: Les ONS indochinois en France (1939-1952) – Une page d’histoire coloniale oubliée.
Lính signifie Soldats, et Thợ signifie Travailleurs. Mais réunis en un mot composé, ces deux mots perdent leur signification d’origine et ne s’appliquent qu’à ces 20 000 « ouvriers non spécialisés » (ONS), comme on les appelait à l’époque, envoyés en 1939 en France pour travailler comme ouvriers dans les usines d’armement.

2013 – Le livre est adapté au cinéma

par le réalisateur franco-vietnamien Lam Lê dans le film Công Binh, la longue nuit indochinoise .

Công binh

Lors de la Première Guerre mondiale, déjà

48 000 Indochinois ont été utilisés comme ouvrier dans les usines d’armement en Métropole.

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