Kim Thuy
Kim Thuy, née en 1968 à Saigon
Au Sud-Vietnam
Ly Thanh Kim Thúy est née à Saigon pendant l’offensive du Têt. C’est ainsi que commencent plusieurs articles lus sur Internet. Pourtant Kim Thuy est née le 18 septembre 1968, ce qui est loin du Têt, le Nouvel An vietnamien qui a lieu entre janvier et février !
Or l’offensive du Têt a commencé le 31 janvier 1968 et s’est terminée le 10 février. Cette campagne militaire menée par surprise, conjointement par le Front national de libération du Sud Viêt Nam (ou Viet Cong) et l’Armée populaire vietnamienne du Nord était dirigée contre cent villes du Sud, dont Saigon, où vivent les parents et la famille de Kim Thuy.
Les attaques sont repoussées rapidement. L’offensive ne réussit pas à obtenir le soulèvement général espéré. Mais elle crée un choc dans l’opinion américaine qui se mobilise contre la guerre et en change le cours.
Donc Kim Thuy n’est pas née pendant l’offensive du Têt mais huit mois plus tard, mais son personnage – son double – Nguyen An Tinh est née, selon le désir de la narratrice, « pendant l’offensive du Têt, aux premiers jours de la nouvelle année du Singe ».
Sa famille appartient à la bourgeoisie aisée, habite une belle villa, entretenue par de nombreux domestiques. La mère, fille aînée d’un préfet, régentait la domesticité et accompagnait son mari à des soirées mondaines. Kim Thuy grandit loin des champs de bataille et des bombes au napalm.
30 avril 1975, chute de Saigon, le drapeau du Viet Cong flotte sur le palais présidentiel. Le 30 avril, « Jour de la Réunification », est un jour férié au Vietnam. Pour les viet kieu1, c’est le « Jour où nous avons perdu le pays ».
Les premiers boat people fuient le pays. En 1978, la famille de Kim quitte à son tour le pays. « Notre bateau aurait pu couler. Sur les dix embarcations qui ont pris la mer cette nuit-là dans le golfe du Siam, seulement trois sont arrivées quelque part… »
De la Malaisie au Canada
Kim et sa famille débarquent en Malaisie et sont installés dans camp de la Croix-Rouge, prévu pour 200 personnes, mais où s’entassent 2 000 réfugiés. Quatre mois plus tard, la famille arrive au Canada. En mars, à Granby – 100 km de Montréal – on ne voit que du blanc !
La transplantation est totale, pourtant Granby devient « le paradis terrestre » pour la fillette de dix ans. Dans Ru, elle raconte la solidarité qui leur permet de se vêtir chaudement, de se loger. Le père accepte avec gratitude les petits boulots qu’on lui propose : nettoyer les toilettes d’une école, livrer pour un restaurant. La mère –qui n’a jamais tenu un balai de sa vie – devient femme de ménage. Les enfants ne restent pas inactifs : travaux de couture après l’école et cueillette de fruits et légumes en été.
Enracinement en terre d’accueil
Si la culture française a continué à se diffuser après le départ des Français en 1954, Kim Thuy n’a pas appris le français, contrairement à sa mère et sa tante qui avaient francisé leurs prénoms et se faisaient appeler Josette et Thérèse.
Priorité donc apprendre le français. Kim Thuy évoque Marie-France, cette première enseignante qui a aidé « les sept plus jeunes Vietnamiens du groupe à traverser le pont » et qui les a d’abord fascinés, eux si maigres, par « le balancement lent et rassurant de ses hanches rondes et de ses fesses bombées, pleines. »
Suivent des études en linguistique et traduction à l’Université de Montréal complété par un second cursus en droit.
Vers l’écriture, le succès de Ru en 2009-2010
Kim Thuy a d’abord travaillé comme interprète-traductrice puis comme avocate dont trois années au Vietnam.
Avec Francis, un gars du Lac-Saint-Jean rencontré dans un cabinet d’avocats dans les années 1990, ils ont deux fils, Valmont et Justin qu’elle évoque dans Ru où elle met en relation l’autisme du cadet avec la sorte de surdité-mutisme qui l’a affectée à son arrivée au Québec.
Elle se lance dans la restauration pensant cette activité plus conciliable avec son « statut » de mère. Illusion ! Mais la voilà coincée pour cinq ans, la durée du bail.
C’est pendant la pause qui a suivi – financée par son mari, dit-elle – qu’elle se met à prendre des notes et que naît son premier livre, Ru.
C’est un ami qui propose le livre aux Éditions Libre Expression, qui le publient en 2009.
Succès fulgurant au Québec et en France, le livre est traduit dans plus de
vingt-cinq langues et remporte de nombreux prix littéraires dont le prix du Gouverneur général du Canada 2010 et le grand prix RTL-Lire 2010 du Salon du livre de Paris. Ru a également été finaliste au Prix des cinq continents de la francophonie. Information relayée dans le Courrier du Vietnam alors que le roman n’est pas traduit en vietnamien.
« Retenus parmi un grand nombre de romans concourant à la 9e édition du Prix des 5 continents de la Francophonie, 10 ouvrages finalistes ont été sélectionnés par les représentants des 4 comités de lecture : l’Association Entrez Lire (Communauté française de Belgique), l’Association des écrivains du Sénégal, l’Association du Prix du jeune écrivain francophone et le Collectif des écrivains de Lanaudière (Canada-Québec). »
Et la liste mentionne « Ru de Kim THUY aux éditions Liana Levi (Vietnam-Canada-Québec). »
Le Courrier du Vietnam du 11.07.2010
Une écrivaine est née
● À toi coécrit avec Pascal Janovjak paraît en septembre 2011.
C’est un recueil de correspondances, de récits croisés, de méditations de deux enfants de l’exil. Elle, une fille du Vietnam devenue Canadienne. Lui, le garçon franco-suisse établi à Ramallah, en Palestine.
● En 2013 paraît le troisième ouvrage de l’auteure, Mãn.
Finaliste au Prix des cinq continents de la francophonie en 2014 et traduit en neuf langues.
Un titre monosyllabique à nouveau, comme tous les mots vietnamiens. Narratrice féminine asiatique à nouveau : « Je m’appelle Mãn, qui veut dire “parfaitement comblée” ou “qu’il ne reste plus rien à désirer” ou “que tous les vœux ont été exaucés”. Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m’impose cet état de satisfaction et d’assouvissement ».
Mãn témoigne des déchirements entre les valeurs confucéennes et celles de l’Occident, le respect des traditions et le désir d’être la maîtresse de son destin.
● En 2016, paraît le quatrième ouvrage, Vi.
A nouveau salué par Le Courrier du Vietnam du 03.11.2016
« Les dix romans finalistes du Prix des cinq continents de la Francophonie 2016 sont désormais connus. Sélectionnés parmi 122 œuvres, ces dix romans reflètent les nuances et la beauté de la langue française. Ils ont en commun la quête de l’identité souvent plurielle. »
Et la liste cite « Vi de Kim Thuy (Vietnam-Canada) aux éditions Libre expression (Canada-Québec) »
L’amour des langues, l’amour de la liberté
«J’aime beaucoup les mots. Le français est la langue avec laquelle je suis devenue adulte. C’est ma deuxième langue maternelle. Je la sens, elle m’habite. C’est une question d’intérêt, aussi. J’ai un intérêt pour les langues. Les langues ont un son, une musicalité un rythme. L’autre jour, je suis allée entendre un poète iranien qui récitait en persan. Je ne comprenais rien, mais pour moi, c’était comme une rock star. Même si on ne comprend pas, on peut apprécier le rythme de la langue».
«L’accès aux livres, la possibilité de lire et d’écrire ce qu’on veut, cela exprime le luxe de la liberté. Un salon du livre illustre cette liberté d’expression et l’accès à l’information dans plein de domaines. On ne réalise pas assez la chance qu’on a de pouvoir ouvrir n’importe quel livre, ne pas devoir les lire en cachette, de pouvoir exposer les livres».
Sources : www.editions-libreexpression.com / www.lapresse.ca › Le Nouvelliste / journaldemontreal.com
1 Les Vietnamiens expatriés