Mission 12 – chapitre 3
Entre deux fêtes
● Des cours et du bruit
Le temps file. Le semestre compte quinze semaines de cours et trois semaines d’examens. Le travail est toujours intense, marqué de satisfactions et de déceptions, de coups de fatigue. Notamment lorsque le bruit nous assaille. Chaque fin d’après-midi vers 17h, des étudiant.e.s viennent danser et chanter près du bureau. Certains apportent un ampli dont ils montent le volume. S’ils ne sont pas très nombreux, on peut leur faire baisser le son. S’ils sont nombreux… on quitte les lieux et regagne sa chambre en espérant que la placette en contrebas ne soit pas aménagée pour une soirée festive. Le 2 novembre, les décibels libérés par les haut-parleurs ont fait trembler et nos portes et fenêtres jusqu’à minuit. Marie-Luce découvre les nuisances sonores difficiles à supporter.
Marie-Luce a pris en charge les observations des professeures de 1ère année et l’évaluation des dossiers pédagogiques. Elle suit tout particulièrement sa « stagiaire » Bao Nhung dans la préparation de ses cours mais aussi Mai Ly, Tu Linh, Thuy Lise…
En fin de matinée, Marie-Luce analyse les cours avec les intéressées, dans le bureau. Elle rédige ensuite une fiche pour garder une trace des conseils donnés.
Ci-dessous à May Ly à qui il faut souvent rappeler de parler moins fort ! Mais qui est tout à fait sérieuse et soucieuse de la qualité de son enseignement. Une débutante prometteuse !
Phuong Lan, la cheffe du groupe de 1ère année a souhaité travailler avec nous et les collègues du groupe, chaque mardi matin, pour procéder à la critique des documents utilisés cette année dans les classes. Lors de la première séance, il nous a fallu deux heures pour critiquer et corriger un seul dossier, le dossier « Nourriture », proposé par une jeune collègue… absente ce jour-là ! Deux professeures déjà expérimentées avaient de nombreuses critiques à formuler. Marie-Luce et moi-même avons répété nos réserves sur l’entreprise qui consiste à vouloir demander à des professeures, débutantes pour trois d’entre elles, de concevoir un cours de langue. Mais il semble que ce ne soit pas négociable.
Je poursuis les observations des cours en 2ème année où le dossier consacré à la culture a été suivi d’exercices de révision et d’entraînement aux examens de fin de semestre. Je suis souvent amenée à devoir signaler les erreurs contenues dans des documents choisis sur Internet et à appeler les responsables des choix de ces documents à la vigilance. Tout document non tiré d’un manuel fiable doit être expertisé.
Didactique et linguistique
Heureuse surprise dans une classe de linguistique de 25 étudiant.e.s ! Classe motivée et vivante. Une des plus agréables que j’ai rencontrées depuis douze ans. Dans ce cas, la fatigue et le temps s’envolent ! De morphologie en sémantique, de dérivation parasynthétique en troncation, de siglaison en polysémie et synonymie et autre mots en –onymie, l’attention ne se relâche pas et c’est bien plaisant.
Dans la classe de didactique qui ne compte qu’une dizaine d’étudiantes, l’ambiance est plus morne mais semble s’animer d’une séance à l’autre. L’analyse de l’image argumentative a reçu un bon accueil et motivé les étudiantes présentes.
Conseils à Minh Phuong
Mon emploi du temps et celui de Minh Phuong – ma stagiaire – sont tellement chargés que nous devons nous rencontrer le dimanche ou le samedi matin pour préparer son cours du mardi.
Lors d’une séance de travail, nous avons travaillé un document écrit sur les pratiques culturelles des Français, un autre sur les jeunes et la musique, puis un document sonore sur la Fête de la musique. Beaucoup d’informations à donner sur le contenu et de suggestions sur la « mise en musique pédagogique ».
● Séminaires : Hessel, Montesquieu, Foenkinos et les autres…
Le travail sur les textes argumentatifs permet aux professeures de découvrir Indignez-vous de Stéphane Hessel et le fameux texte de Montesquieu, De l’esclavage des nègres. Nous révisons la méthode d’analyse des images: Huong, Préfassienne 2017, présente un tableau du 19ème s. de Marcel Verdier, Mai Ly, une photo d’esclavage moderne. Thu Ha, future Préassienne, analyse une carte du fléau si rémunérateur du travail forcé – 150 milliards de dollars en 2013 – qui permet d’approfondir la réflexion.
Exposé sur la loi Schiappa contre les violences sexuelles et les infox qui ont couru en France pour discréditer l’éducation sexuelle à l’école. Education qui ne date pas de 2018, ai-je dû préciser.
Marie-Luce a présenté David Foenkinos avant sa conférence à l’Espace-Centre culturel de Hanoi. Quelques professeures accompagnées d’étudiantes y ont participé. J’étais fatiguée ce soir-là pour me lancer dans la circulation hanoïenne. Peu d’échos de la soirée…
Suite des travaux sur l’élaboration des sujets de CE : après les questions de type Vrai-Faux- On ne sait pas, nous revenons à l’exercice jugé tellement difficile du résumé à trous car il faut d’abord résumer un texte puis enlever dix mots dans ce résumé. Les étudiant.e.s doivent retrouver les dix mots en s’appuyant sur le texte et en choisissant parmi les quatre propositions faites pour chaque mot. Ces séminaires demandent un travail important aux sept participantes qui sont fatiguées en cette fin de semestre…mais qui résistent !
Un jeudi, Thu Ha, notre future Préfassienne, arrive en clopinant : elle vient d’être bousculée par une voiture et sa moto est tombée sur son pied, bien gonflé. Un peu plus tard son mari vient la chercher pour la conduire à l’hôpital : fracture du pied ! Et pourtant, depuis, elle n’a manqué aucun des séminaires. Elle est très alerte avec ses béquilles et sera bientôt déplâtrée.
● Lancement du concours « Plaisir de dire »
Fin octobre, je fais le tour des classes pour sensibiliser les étudiant.e.s de 2ème année.
Rien de mieux que de s’appuyer sur des textes.
? Je retrouve la classe de non débutants de F1. En 2ème année, ils ont cours le lundi avec Dang Thuy (alias Thuy frisée) qui souhaite que je les prépare au concours et fasse progresser leur prononciation. Nous étudions Les Feuilles mortes de Prévert et l’hommage que lui a rendu Gainsbourg dans La Chanson de Prévert.
Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis.
En ce temps-là la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui…
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Cette chanson était la tienne
C’était ta préférée, je crois
Qu’elle est de Prévert et Kosma…
La classe est réceptive, l’ambiance détendue. On explique les mots, les phrases, on apprend à les prononcer. Ils sont plusieurs à vouloir s’inscrire au concours. Il me faudra leur proposer d’autres textes. Pour clore l’étude de chaque texte, je leur montre deux vidéos : Yves Montand en concert et Serge Gainsbourg en studio. Ils sont très émus et impressionnés par l’interprétation d’Yves Montand. Moins sensible au laconisme du second.
▫ Je devais présenter Aquarelliste de Guillaume Apollinaire en 2AF6 lorsque la professeure de la classe me téléphone à 6h30 pour me demander de prendre la classe, seule. Elle doit accompagner sa belle-mère à l’hôpital. D’accord.
Yvonne sérieuse au visage pâlot
A pris du papier blanc et des couleurs à l\’eau
Puis rempli ses godets d’eau claire à la cuisine…
Comment expliquer ce qu’est un « godet » ? En apportant un petit pot de confiture vide.
Il faut expliquer beaucoup d’autres mots pourtant simples. Si cette classe est active, son niveau de langue est encore faible. Difficile de faire dire des phrases complètes!
▫ Celui qui a tout perdu est un poème de David Diop (1927-1960), homonyme du prix Goncourt des lycéens 2018. Dans la classe F4 d’Anh Tu, nous repérons le champ lexical dominant dans la première strophe, celui du bonheur dans la vie rurale traditionnelle. Et dans la seconde, la nuit et le silence qui s’abattent sur l’Afrique avec l’arrivée des prédateurs européens.
Le soleil brillait dans ma case
Et mes femmes étaient belles et souples
Comme les palmiers sous la brise des soirs.
Mes enfants glissaient sur le grand fleuve
Aux profondeurs de mort
Et mes pirogues luttaient avec les crocodiles.
La lune, maternelle, accompagnait nos danses
Le rythme frénétique et lourd du tam-tam,
Tam-tam de la joie, tam-tam de l’insouciance
Au milieu des feux de liberté.
Puis un jour, le Silence…
Les rayons du soleil semblèrent s’éteindre
Dans ma case vide de sens.
Mes femmes écrasèrent leurs bouches rougies
Sur les lèvres minces et dures des conquérants aux yeux d’acier
Et mes enfants quittèrent leur nudité paisible
Pour l’uniforme de fer et de sang.
Votre voix s’est éteinte aussi
Les fers de l’esclavage ont déchiré mon cœur
Tams-tams de mes nuits, tam-tams de mes pères
▫ J’ai recours à nouveau au prolixe Jacques Prévert dont les poèmes plaisent aux étudiantes qu’ils parlent de l’amour, de l’école, de la vie, de la mort, de la guerre.
Page d’écriture, Pour peindre un oiseau, Le Cancre, La Belle vie, Fleurs et couronnes…
Dans mon bureau, Viva apprend un extrait de la Chanson du Mal aimé d’Apollinaire et Ha Phuong Familiale de Prévert.
Début novembre, la phase de sensibilisation achevée, je propose des ateliers pour les étudian.t.e.s volontaires, deux après-midi par semaine, avec le renfort d’Anh Tu et Thuy Linh
● Le grand jour pour Ngoc Lan
Les soutenances de thèse ne suivent pas le même processus qu’en France. Ici les choses se passent en deux temps : une première soutenance décide de donner – ou pas – le feu vert pour la soutenance finale. Le 16 novembre était le jour de la première soutenance pour Ngoc Lan dont plusieurs adhérent.e.s ont apprécié les qualités au printemps 2017 lorsqu’elle a séjourné à Nancy, Grenoble et Bagas.
Ngoc Lan présentait son travail sur les expressions idiomatiques en français et en vietnamien exprimant les émotions de la colère, la joie et la tristesse. Nous étions quelques-unes pour lui apporter notre soutien moral et amical dans la salle des thèses.
Après les commentaires des membres du jury, Ngoc Lan donne quelques compléments d’information. Son directeur de thèse remercie les membres du jury qui se retirent. Quelques minutes plus tard, Ngoc Lan obtient l’avis favorable qui va lui permettre d’aller au bout de ce gros travail de plusieurs années tout en étant professeure et mère de deux jeunes garçons.
● Repas partagés et invitations
▫ Souvent je partage le déjeuner avec une collègue ou je retrouve des ami.e.s comme Van Dung, que je connais depuis ma première mission en 2006, qui est maintenant en retraite mais conserve quelques activités ; comme Toan, professeur à l’université voisine, qui prenait son repas à mon restaurant habituel, un dimanche midi, où j’étais seule et avec qui j’ai passé un excellent moment.
▫ Repas entre femmes, chez Ngoc Lan qui a déménagé il y a trois mois et s’est installée avec son mari et ses deux fils, dans un bel appartement du quartier de My Dinh, proche de l’université, où habitent de nombreuses collègues. Joyeuse ambiance au 17ème étage qui offre une vue panoramique sur les environs. Pour une fois, nous prenons le temps d’échanger et nous quittons vers 15h.
▫ Déjeuner d’accueil – Courant octobre, avec un peu de retard, nous sommes invitées à un déjeuner d’accueil. Direction la grande tour qui s’est élevée en 2008, de l’autre côté du boulevard, à la place d’un terrain vague. Le restaurant Pho Ngôn (la rue de la Gastronomie), au 5ème étage propose toujours des mets délicieux. On se régale mais quelle chaleur ! Aux 28° degrés de ce jour ensoleillé s’ajoutent ceux du réchaud dans lequel bouillonnent les légumes, crevettes, fines tranches de bœuf de la fondue chinoise.
▫ Chez Bich et Hoa – Mes premiers amis, ceux qui sont à l’origine de la première mission…qui a fait quelques petits. Bich est venu me chercher à moto. Heureusement, leur maison n’est pas loin. Hao nous a préparé un délicieux repas et servi en dessert les caramboles du jardin. Leur fille – Préfassienne 2004 – est doctorante en Louisiane. Bien du courage pour cette jeune femme mère d’un petit garçon et loin de ses attaches.
▫ Chez Nhu et Thang – Mes chers amis, les parents de Kim, maintenant installée à Lyon avec son mari. Je viens rue Lê Thanh Tong, dans le quartier de l’Opéra, depuis 1999, année où Kim est venue en France comme Préfassienne. C’était mon deuxième voyage au Vietnam et une des premières familles vietnamiennes où j’ai été reçue. Thuy frisée me raccompagne en voiture, à l’université. L’après-midi sera studieux et culturel.
▫ Chez les parents de Lê Thuy Ha – Préfassienne 2009 et Parisienne depuis quelques années – où, comme d’habitude, nous étions une quinzaine pour déguster un repas pantagruélique. Yen – Préfassienne 2015 – m’accompagnait car je ne parle toujours pas vietnamien.
▫ Chez les parents de Huong – Préfassienne 2008 et Parisienne comme la précédente – je retrouve la grand-mère de 85 ans, toujours coquette, mais se déplaçant avec une canne maintenant et regrettant de ne plus pouvoir aller au club de danse ni de s’occuper de ses fleurs. Je fais la connaissance de la cousine de Huong qui vient de rentrer d’un long séjour estudiantin en Finlande.
▫ Chez Thuy et Tuan où j’ai eu le grand plaisir de retrouver Christine et Jean-Louis, des amis communs, à qui Jean-Claude et moi avons rendu visite à Biscarosse en mai dernier. Ce sont des amoureux du Vietnam qui cette année sont allés du côté de Dien Bien Phu et ont failli croiser d’Edouard Philippe, venu célébrer les 45 ans de relations diplomatiques entre la France et le Vietnam.
▫Le Courrier du Vietnam, journal en français, évoque la visite du Premier ministre à Dien Bien Phu, le 3 novembre.
« Vingt-cinq ans après le président François Mitterrand, le Premier ministre français Édouard Philippe s’est rendu samedi 3 novembre sur le site de la bataille de Diên Biên Phu, y célébrant le passé « apaisé » de la France et du Vietnam. » La photo et le commentaire sont intéressants !
● Et toujours du bruit !
A l’approche de la Fête des enseignants, les soirées festives se sont multipliées. En moins d’une semaine, trois chapiteaux ont été montés et démontés, pour abriter repas, concerts et autres manifestations….toujours très bruyantes.
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