Dans la cuisine des Nguyen

Comédie musicale de Stéphane Ly-Cuong
Un premier long-métrage sorti en France le 5 mars 2025
Dans la cuisine des Nguyen - AfficheYvonne Nguyen galère. Elle joue dans des petits théâtres et court le cachet comme chanteuse. Elle rêve de jouer dans une comédie musicale. Pour vivre, elle accepte des petits boulots, celui de Reine des nems pour un grand magasin asiatique. Comme son compagnon ne l’écoute plus, elle le quitte et retourne habiter chez sa mère. Conflits de générations. Divergences culturelles. La relation est rude entre les deux femmes, surtout qu’Yvonne ne veut pas lâcher ses rêves. Un film drôle, émouvant et profond, qui traite les questions de l’identité, du racisme ordinaire. Bravo !

Dans la cuisine des Nguyen - La reine des nems
La reine des nems

Une cohabitation mère-fille mouvementée

La mère a un fort caractère. Veuve, elle est la patronne d’un restaurant vietnamien en banlieue parisienne et ne comprend pas que sa fille perde son temps dans le théâtre. Elle aurait dû être médecin ou avocate. Elle pourrait aussi épouser un médecin, ou au moins reprendre le restaurant. Mais Yvonne n’en a cure. Elle reproche à sa mère de mal parler le français. Sa mère l’accuse de parasitisme. Elle lui demande de travailler avec elle en cuisine, pour payer son loyer. Mais Yvonne peine à réaliser les banh cuon. Elle ne sait pas cuisiner. La tension monte. « J’ai survécu à la guerre et à la dysenterie, je survivrai à une fille ingrate », s’exclame-t-elle en vietnamien, langue qu’Yvonne comprend, sans la parler. Ce que sa mère lui reproche avec verve : « Une Vietnamienne qui n’a jamais mis les pieds au Vietnam, c’est comme un nem sans nuoc mam, c’est pas terrible. »
 La relation finira par s’apaiser. Belle séquence où les deux femmes vont à une fête vietnamienne où l’air nostalgique chanté par Truc Dao transporte la mère au moment heureux de sa rencontre avec son mari décédé.
Anh Tran Nghia signe une véritable performance dans le rôle de la mère au visage si expressif, au naturel explosif. Elle nous avait déjà impressionnés en 2017, cuisinant sur scène dans la pièce de Caroline Guiela Nguyen, Saïgon.
Le rôle de Truc Dao est tenu par Linh-Dan Phan qui joue le rôle de la fille de Catherine Deneuve dans Indochine de Régis Wargnier.

L’équipe du film. Au centre, la mère (Anh Tran Nghia) entourée par le réalisateur et sa fille Yvonne (Clotilde Chevalier). A droite, en veste à carreaux, Koko le meilleur ami d’Yvonne (Gaël Kamilindi)
L’équipe du film. Au centre, la mère (Anh Tran Nghia) entourée par le réalisateur et sa fille Yvonne (Clotilde Chevalier). A droite, en veste à carreaux, Koko le meilleur ami d’Yvonne (Gaël Kamilindi

Le racisme ordinaire

Les séquences liées aux activités artistiques d’Yvonne alternent avec les séquences familiales. Rôle de comédienne dans un petit théâtre animé par son meilleur ami Koko, interprété par le talentueux Gaël Kamilindi, né en République démocratique du Congo et actuel pensionnaire de la Comédie française. Petits boulots comme vendeuse déguisée en beauté asiatique – la Reine des nems – comme figurante de clientes de restaurants chinois et de touristes asiatiques. Puis, coup de chance, elle est retenue sur le casting d’une comédie musicale à gros budget, le Tour du monde de Casanova qui recrute une artiste asiatique. Le metteur en scène joué par Thomas Jolly – directeur artistique des cérémonies des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 – est d’emblée séduit et ému par la personnalité d’Yvonne qui se retrouve en finale du casting, confrontée à une autre franco-vietnamienne. Proche de son rêve ?
Elle a pourtant été refroidie par les clichés et les propos approximatifs du metteur en scène mélangeant les cultures chinoise, japonaise et vietnamienne ; évoquant « l’impassibilité asiatique » ; exigeant des « petits pas glissants de geisha » ; lui demandant de « parler sa langue natale ». Stéphane Ly-Cuong se moque gentiment de l’inculture, du racisme ordinaire envers les Asiatiques, qui n’est certes pas agressif, et s’apparente plus à de la discrimination positive mais n’en reste pas moins discriminatoire.
Yvonne jouée par  Clotide Chevalier

Humour et gravité/musique et comédie

On passe sans transition de séquences parlées à des séquences chantées et dansées où domine la joie. Stéphane Ly-Cuong a travaillé avec deux compositeurs pour des créations originales correspondant au style de comédie musicale qu’il aime.
Il a choisi l’humour pour faire passer des sujets graves. Quête identitaire, double culture. « Comment fait-on quand on est né en France de parents immigrés pour être en paix avec cette double culture ? »
« Quand on est adolescent, on a parfois envie de rejeter ses origines. On a envie d’être comme tout le monde. Puis en grandissant, on se rend compte que ce qu’on considérait comme un handicap est en fait une richesse. »
« Dans le milieu des arts et du spectacle on est encore plus cantonné à des clichés. Si on est un homme on sera patron de restaurant mafieux et si on est une femme on sera serveuse de restaurant ou masseuse. Heureusement les choses sont en train de changer. » Entretien sur RFI

Stéphane Ly-Cuong

Réalisateur, metteur en scène, comédien et scénariste français né le 22 octobre 1972 à Eaubonne (Val-d’Oise), il a fait ses études de cinéma à Paris VIII, au Brooklin College et à la Fémis (atelier scénario). Il aime explorer dans ses films les problématiques de la diaspora vietnamienne. Il s’inspire aussi de sa propre vie.

 Amateur de théâtre musical, il a été durant 25 ans corédacteur en chef de la première revue en France sur la comédie musicale « Regard en coulisse ». Extraits d’un entretien sur le film, à la revue :
« Je suis très touché par l’accueil des spectateurs. À chaque fois que des personnes d’origine asiatique se trouvent dans le public, se dégage une grande émotion car, ce qui revient très souvent, c’est qu’elles se sentent enfin représentées. Cela me touche car c’est entre autres pour cela que j’ai fait ce film : raconter une histoire qui existe dans notre société mais pas à l’écran. »
« J’écris actuellement mon prochain long-métrage. Je continue à explorer la question liée à la diaspora, mais sous un nouvel angle : celui du retour au pays. Ce film se passe au Viêt-Nam. Ce ne sera pas une comédie musicale, plutôt un road-movie. Il parle de réconciliation avec son passé, avec encore une fois des personnages féminins forts. »

Stéphane Ly-Cuong espère pouvoir présenter son film au Vietnam dans le cadre d’un festival auquel il a déjà postulé et grâce à l’Institut français. Je l’espère aussi afin que mes ami·es vietnamien·nes du Vietnam puissent découvrir ce film !

Régine Hausermann, 28 mars 2025


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