Exposition Mai-Thu
Musée des Ursulines à Mâcon
Exposition Mai-Thu
12 octobre 2021
Le musée des Ursulines est installé dans un ancien couvent de l’ordre des Ursulines, construit de 1675 à 1680. Fondé en 1535 en Lombardie (Italie) l’ordre se consacre principalement à l’éducation des filles ainsi qu’aux soins des malades et des nécessiteux.
À la Révolution, le couvent devient maison d’arrêt puis caserne à partir de 1796 et jusqu’en 1929. Le bâtiment est rétrocédé à la ville de Mâcon qui y installe la « Maison du peuple » mise à la disposition de diverses associations.
Après des travaux de remise en état qui durent quatre ans, le musée d’art et d’archéologie des Ursulines ouvre en 1968. Une salle du deuxième étage est consacrée au poète romantique Alphonse de Lamartine, né à Mâcon en 1790.
L’exposition Mai-Thu (1906-1980) occupe un ensemble de salles du rez-de-chaussée.
En route pour la visite !
La Lettre de Préfasse d’avril-mai-juin 2021 – publiée sur le site – s’intéressait à Mai-Thu à propos d’une vente aux enchères historique, celle qui vit le Portrait de mademoiselle Phuong, son tableau le plus célèbre, adjugé au prix astronomique de 3,1 millions d’USD.
Né à Haïphong en 1906, Mai-Thu suit ses études secondaires au lycée français de Hanoï puis fait partie de la toute première promotion de l’École des Beaux-Arts d’Indochine (1925-1930), fondée et dirigée par le peintre Victor Tardieu.
Professeur et artiste de 1930 à 1937
Diplômé en 1930, Mai-Thu est affecté comme professeur de dessin au lycée Khai Dinh de Hué, alors capitale impériale.
Il envoie aussi des peintures, principalement des huiles, aux nombreuses expositions coloniales organisées à travers le monde. Son style, aux larges masses simplifiées, à la touche lumineuse et vibrante, doit beaucoup à la mouvance des peintres coloniaux venus enseigner à Hanoï.
Il participe à plusieurs concours de création de timbres et envoie des projets dans l’esprit de l’Art Déco contemporain. Il collabore également à l’édition de revues de mode. Les tuniques cintrées qu’il dessine révèlent une certaine émancipation des femmes vietnamiennes à travers leur vêtement.
Entre 1935 et 1937, Mai-Thu représente souvent la même personne qu’il désigne sous le nom de Mademoiselle Phuong. Cette belle jeune fille au visage doux et triste, simple modèle ou amour contrarié, demeure mystérieuse. Il peint de nombreux portraits de femmes et quelques autoportraits.
1937 – Départ pour la France
Mal à l’aise dans une société figée, Mai-Thu quitte le Vietnam pour poursuivre sa carrière en France. Deux ans plus tard, il s’engage dans l’armée française puis est démobilisé en 1941 à Mâcon où il séjourne deux ans.
Le séjour à Mâcon
Il y noue des liens privilégiés avec des familles de la région notamment celle de l’encadreur et amateur d’art Joseph Pedrinis (1898-1965). Cette période constitue un tournant très important dans sa carrière picturale car il abandonne la peinture à l’huile pour se consacrer exclusivement à la peinture sur soie. Les portraits d’Occidentaux qu’il exécute sont traités à la manière asiatique, en couleurs légères sur soie.
L’une des réalisations les plus originales et emblématiques de son séjour à Mâcon reste la peinture murale dont il obtient la commande pour la chapelle Sainte-Thérèse-de-Lisieux à l’église Saint-Pierre. La représentation de la Vierge aux yeux bridés se mêle à celle des soldats dont les traits évoquent les portraits que Mai-Thu réalise durant son séjour mâconnais.
Entre Orient et tradition, un nouveau langage pictural
Mai-Thu met au point en quelques années un nouveau langage pictural auquel il restera fidèle. Il l’articule autour d’emprunts à l’Orient et à l’Occident, subtilement mêlés autour de compositions rigoureuses.
De l’Orient, il retient la technique sur soie, la prédominance de la ligne, l’étalement des plans et le rehaussement de la ligne d’horizon.
De l’Occident, Mai-Thu reprend le rendu du volume et certains thèmes, comme les natures mortes ou les baigneuses. De même, le tableau rigide est issu de la tradition européenne. Mais les encadrements que l’artiste réalise lui-même sont ornés de motifs chinois et de laques colorées et dorées qui évoquent l’Asie.
Ses sujets sont restreints à quelques thèmes récurrents et inlassablement repris, où seul diffère un accessoire, un geste ou le mouvement du vêtement. Il met en scène une vision idéale de la culture vietnamienne traditionnelle, comme figée hors du temps. Les valeurs confucéennes de la famille et de l’éducation, le mode de vie raffiné de la noblesse, la poésie, le Nouvel An sont autant de thèmes qui lui sont chers.
Natures mortes
Ses natures mortes illustrent la synthèse que Mai-Thu opère entre Orient et Occident. De la tradition européenne, il reprend le thème, le format rigide du tableau mural et le rendu du volume.
À l’automne 1954, exposition à la Chambre de commerce. De l’Orient proviennent la technique sur soie, l’étagement des plans, la déformation de la perspective et les accessoires : boîte en laque ou en céramique, présentoir laqué.
Tendresse maternelle et évocation de la guerre
Dès son installation en France, Mai-Thu évoque souvent la douceur du lien maternel. La simplicité du dessin met en valeur le geste protecteur d’une main ou le réconfort d’un baiser. L’importance de la mère dans l’éducation des enfants s’inscrit dans l’univers harmonieux que Mai-Thu s’attache à représenter.
Pourtant ce Vietnam intemporel qu’il privilégie habituellement admet une exception, celle des tableaux évoquant, tout en retenue, la guerre qui meurtrit le Vietnam pendant vingt-neuf ans (1946-1975). Mai-Thu comme tous les Vietnamiens d’origine, souffre à distance. Pour la première fois, les allusions à la misère, au danger et à la mort gagnent son répertoire.
Le 11 juin 1963, le moine Thic Quang Duc s’immole par le feu pour protester contre la répression anti-bouddhiste menée par le président de la République du Vietnam, Ngo Dinh Diem. Mai-Thu peint alors Les Enfants en prière. Il y exprime sa douleur en la sublimant par cette exhortation à la paix et à la réconciliation qu’il confie à l’innocence de ces jeunes enfants.
La femme, allégorie de la modernité
Dès les années 30, la femme est le sujet privilégié de Mai-Thu, et comme de la plupart des artistes vietnamiens. Le choix de représenter sa beauté librement et pour elle-même rompt avec la tradition picturale vietnamienne où le portrait était avant tout symbolique et votif. La figure de la femme, éternellement jeune et belle, affranchie de tout souci de ressemblance, porte l’idée du renouveau de l’art vietnamien et devient emblématique de la modernité.
Enfants
Mai-Thu présente les enfants absorbés dans leurs jeux, dans un monde où les adultes n’ont pas leur place. Ce thème a largement contribué à son succès, notamment à travers la diffusion de reproductions, cartes de vœux et affiches.
À partir des années 60, Mai-Thu collabore avec l’Unicef puis avec le Mouvement pour les villages d’enfants : la vente de reproductions de ses œuvres permet de lever des fonds pour venir en aide aux orphelins.
La musique
Mai-Thu est aussi un musicien chevronné. Il joue du monocorde, de la flûte, de la cithare. En France, il donne régulièrement des concerts de musique traditionnelle vietnamienne et enregistre un disque en 1960. Jusqu’à la fin de sa vie, il ne cessera d’évoquer son goût pour la musique à travers ses représentations de musiciennes.
Le cameraman et l’acteur
Mai-Thu joue un petit rôle, celui du prêtre dans le film – Fort du fou – sorti en 1963. Ce film franco-italien, réalisé par Léo Joannon, évoque l’abandon de réfugiés tonkinois catholiques par une armée française impuissante, à la fin de la guerre d’Indochine. Le film a été tourné en France, dans les rizières de Camargue.
En 1946, Mai-Thu prend la caméra pour filmer la venue de Hô Chi Minh à Paris, lors de la conférence de Fontainebleau. Il recevra, en 2008, un titre de reconnaissance posthume du Gouvernement vietnamien pour le don de ce film.
La conférence de Fontainebleau – Ouverte le 6 juillet 1946 en présence d’Hô Chi Minh qui dirige la délégation viêt-minh, elle se termine brusquement sur un échec le 12 septembre avec des positions inconciliables sur l’intégration du Viêt Nam dans l’Union française et sur l’unité des trois « Ky » : « Bac Ky » (Tonkin), « Trung Ky » (Annam) et « Nam Ky » (Cochinchine). En effet, alors que le Tonkin et l’Annam sont des protectorats, la Cochinchine est une colonie, riche, que partis politiques français et coloniaux voudraient conserver, car c’est le grenier à riz du pays et le centre de production du caoutchouc naturel. Or, pour les communistes vietnamiens, il est hors de question que la province reste aux Français, même temporairement. Hô Chi Minh quitte la France après avoir signé un modus vivendi sans grande conséquence, car il ne fait que prévoir la réunion d’une autre conférence à une date à déterminer. Hô a toutefois insisté sur un tel document afin de ne pas « revenir les mains vides » au Vietnam. (Source Wikipedia)
Une exposition originale qui rend compte de la variété des centres d’intérêt de Mai-Thu. Deux heures de découverte en compagnie de plusieurs visiteurs d’origine vietnamienne.
Régine Hausermann