La Petite fille de Monsieur Linh

La Petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel né en 1962

Roman français paru chez Stock en 2005, en Livre de Poche en 2007, 170 pages

Jaquette : la petite fille de Monsieur Linh

D’où vient Monsieur Linh ?
D’un pays de rizière où son fils et sa belle-fille sont morts dans « la guerre qui fait rage au pays depuis des années déjà », d’un village qui n’avait qu’une rue, où tout le monde se connaissait, dont il ne reste rien.
Où arrive Monsieur Linh après six semaines de bateau ?
Dans une grande ville portuaire du sud de la France où les odeurs sont si bizarres.
Dans un dortoir pour immigrés qu’il partage avec des familles bruyantes : les hommes se querellent en jouant aux cartes, les femmes préparent les nouilles, les enfants crient…
Tous se moquent de l’Oncle, maladroit pour changer les couches de sa petite fille, on finit par ne plus lui parler, mais, à chaque repas, les femmes posent un bol de nouilles près de son lit.
Nous sommes évidemment en présence de réfugiés vietnamiens arrivés en France, à Marseille peut-être.
Les jours passent. Monsieur Linh ne quitte pas le dortoir : il a trop peur de se perdre dans la grande ville. Pourtant il faut sortir, pour la petite fille, pour qu’elle reprenne des couleurs. Monsieur Linh enfile à la petite tous les vêtements chauds que l’Assistante sociale lui a donnés,car il fait froid. Monsieur Linh fait de même pour lui sans se rendre compte qu’il ressemble à un épouvantail.
Il sort, il a peur de se perdre, de se faire écraser, la circulation est si intense. Alors il décide de ne pas changer de trottoir, passe plusieurs fois devant le dortoir, se fatigue, s’assied sur un banc en face d’un parc.

Seul sur le banc
Seul sur le banc

Soudain, il n’est plus seul sur le banc : un autre homme s’est assis près de lui, grand, gros, de même âge que lui, qui fume beaucoup. Une conversation improbable s’engage entre les deux hommes, que la magie de l’écriture permet au lecteur de comprendre. Pourtant le courant passe. Monsieur Bark – drôle de nom qui signifie « écorce » ou « aboyer » en anglais – est un homme généreux, d’une grande humanité, d’une extrême délicatesse. C’est aussi un homme seul et malheureux, car sa femme vient de mourir et, s’il s’est assis sur ce banc, c’est pour regarder tourner le manège que sa femme possédait et faisait tourner, pour la joie des enfants.

 

Le manège

Chaque jour, les deux hommes se retrouvent sur le banc. Quand la pluie se met à tomber, Monsieur Bark emmène Monsieur Linh dans une brasserie et lui fait découvrir le grog ! La tête lui tourne, mais il est si bien, qu’il se met à chanter à Monsieur Bark un refrain de son pays.
La vie des deux hommes a changé, le mot bonheur se met à retrouver du sens. Sans se comprendre autrement que par des attentions partagées, des cadeaux qu’ils se font, l’amitié réchauffe leur vie. Jusqu’au jour où Monsieur Linh est emmené loin du banc, du dortoir, pour être placé dans une maison de « vieux » dont il va vouloir s’évader pour retrouver son ami.

Ce court roman est un enchantement,

un bijou de tendresse et de sensibilité qui saisit le lecteur dès les premières pages pour le laisser bouleversé, 170 pages plus loin.
Philippe Claudel, dont les précédents ouvrages se situaient dans sa Lorraine natale, excelle ici à faire surgir les paysages et les coutumes du Vietnam.
« C’est un vieil homme debout à l’arrière d’un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu’il s’appelle ainsi, car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui. Debout à la poupe du bateau, il voit s’éloigner son pays, celui de ses ancêtres et de ses morts, tandis que l’enfant dort. Le pays s’éloigne, devient infiniment petit, et Monsieur Linh le regarde disparaître à l’horizon, pendant des heures, malgré le vent qui souffle et le chahute comme une marionnette. »
Le récit s’ouvre sur cette mélodie triste et pudique, à l’image de Monsieur Linh. Phrases courtes, et mots simples, repris comme par glissement pour pénétrer l’esprit du lecteur : « un vieil homme…Monsieur Linh… il s’éloigne…debout… »
Un peu plus loin, page 36, la découverte de la grande ville ravive l’amour du village natal qu’il a fallu quitter.
« Toutes ces femmes, tous ces hommes, Monsieur Linh n’en a jamais vu autant. Il y avait si peu d’habitants au village. Parfois bien sûr, il allait au marché du district, mais là encore il connaissait tout le monde. Les paysans qui venaient y vendre leurs marchandises, ou bien en acheter, vivaient dans d’autres villages pareils au sien, entre rizières et forêts, sur le flanc des montagnes dont on ne voyait que rarement les sommets, car ils étaient souvent empanachés de brume. Des liens de parenté plus ou moins lointains, des mariages, des cousinages, les reliaient aux autres. On parlait beaucoup sur le marché. On riait. On se disait les nouvelles, les morts et les contes. On pouvait s’asseoir sur les tabourets d’un des petits restaurants ambulants pour y manger une soupe au liseron, ou bien un gâteau de riz gluant. Les hommes racontaient des histoires de chasse, parlaient des cultures. Les plus jeunes regardaient les filles qui rougissaient soudainement et se parlaient alors à l’oreille en roulant des yeux. »

Au restaurant au marché du district, assis sur des petits bancs
Au restaurant au marché du district,
assis sur des petits bancs
Un restaurant au marché du district
Un restaurant au marché du district

Un livre dédié « A tous les Monsieur Linh de la terre et à leurs petites filles. »
Live de la main tendue, du cœur ouvert à l’autre, l’immigré, le réfugié.

Octobre 2012, du côté de Son La (N.O. du Vietnam)
Octobre 2012, du côté de Son La, N.O. du Vietnam
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