Le Sympathisant de Viet Thanh Nguyen
Ce gros roman de 480 pages est la confession d’un agent double, né du viol d’une jeune Vietnamienne par un prêtre catholique français, déchiré entre communisme et capitalisme, entre Orient et Occident.
Le récit est touffu, construit sur des allers et retours entre les différents âges de sa vie, au Vietnam et aux Etats-Unis. L’enfance et la mère. L’amitié indéfectible avec Bon et Man, ses camarades communistes. Ses activités d’agent double à Saïgon puis à Los Angeles avec le général dont il est resté l’aide de camp « fidèle ». Ses amours. On comprend progressivement que le commandant auquel il s’adresse ne lui veut pas du bien. Le ton devient de plus en plus sombre. Un roman d’espionnage mais aussi un grand roman politique et psychologique.
« Ah, l’Amérasien… Toujours écartelé entre deux mondes et ne sachant jamais auquel il appartient. » Sur l’incitation de son professeur d’Université, le narrateur produit un texte comparant ses qualités orientales et occidentales (p.90 Editions Belfond). Croustillant !
Un succès de librairie
Six ans après, le livre s’est vendu à un million d’exemplaires dans le monde (dont 700 000 aux Etats-Unis). Il est aujourd’hui considéré comme un classique contemporain et a fait de son auteur une figure de l’intelligentsia américaine. Pourtant le manuscrit n’avait pas suscité l’intérêt des nombreux éditeurs sollicités, à l’exception d’un seul, Peter Blackstock chez Grove Atlantic.
Pourquoi Peter Blackstock a-t-il été plus sensible que ses collègues éditeurs ? Viet Thanh Nguyen pense que c’est parce qu’il est anglais et métis, sa mère étant d’origine pendjabi et malaisienne. Ce qui l’a prédisposé à une lecture autre que celle des éditeurs américains.
En effet selon une étude menée en 2019 par deux chercheurs de l’université de Boston, l’industrie littéraire est encore blanche à 85 % et peu réceptive aux thèmes et aux mots des minorités ethniques. Peter Blackstock s’en explique :« Je crois qu’être fils d’immigrants affecte votre compréhension du monde et votre lecture d’un livre sur l’expérience des réfugiés. D’autant que, si Le Sympathisant a eu un rôle dans le renouveau de la littérature asiatique-américaine, Viet se tenait lui-même sur les épaules des grands écrivains africains-américains. »