Mission 1
Première mission à l’Université nationale de Hanoi
13 février – 17 mars 2006
Régine Hausermann –Professeure de Lettres
1. Le déclic, à l’été 2004
C’est Hoa, professeure au Département de français, qui en a eu l’idée en juillet 2004. Sa fille avait été désignée par la Direction du Département comme boursière de Préfasse pour l’année 2014 et séjournait à Grenoble alors que Hoa était à Lyon pour retrouver la famille d’accueil de ses années étudiantes. Elle découvre que je suis professeure de Français et me suggère aussitôt de venir « les aider». Elle m’explique que lorsqu’elle était jeune professeure, dans les années 80, deux experts étaient délégués par l’Ambassade de France pour faciliter le travail des professeurs et contribuer à leur formation continue.
Lan Phuong, Charlotte et Hoa, été 2004 à Grenoble – Au Festival du théâtre européen
Je ne suis pas encore en retraite mais l’idée fait son chemin. Nous en parlons au sein de Préfasse. Des contacts sont pris par Jean Marie Maillard avec l’Université et l’Ambassade. Septembre 2005, je suis en retraite, je décide de conjuguer plaisir et travail et de financer le billet d’avion. Découverte du delta du Mékong avec mon mari fin janvier au moment du Têt. Accueil dans la famille de Hoa à Hanoi. Puis je reste seule à Hanoi. La mission peut commencer.
2. La démarche adoptée
Un programme de formation des jeunes professeur-e-s avait été esquissé. Il faut maintenant le mettre en œuvre. Il s’est avéré que la meilleure méthode pour faire émerger les besoins était de faire cours moi-même aux étudiant-e-s afin de susciter questions et réflexions.
Chaque matin, je travaille avec les étudiants de 1ère et 2ème année. Très rapidement, en plus du professeur responsable de la classe, j’ai plusieurs « observateurs-trices » dans le fond de la classe. Et c’est à partir de ces observations que le travail de formation avec les professeurs s’est organisé dans un excellent climat de confiance.
3. Le travail avec les étudiant-e-s
L’accueil est excellent. Les étudiant-e-s sont curieux-ses de savoir qui je suis, si je suis mariée, si j’ai des enfants… Puis je passe au travail sur les manuels et selon la progression en vigueur au département de français.
Je découvre que tous les professeurs font la même chose en même temps, que l’on étudie séparément la grammaire (le lundi), le vocabulaire (le mercredi), la civilisation (le vendredi).
Gros écarts de niveau à l’oral. Beaucoup ont de sérieux problèmes de prononciation.
L’étude des textes portent essentiellement sur les questions de langue et de grammaire. On néglige l’étude du contexte, de la structure du texte, deux points nécessaires à une compréhension fine.
Les travaux écrits sont très courts et de qualité médiocre. Les professeurs s’en plaignent et certains sont conduits à ne pas les noter car les notes seraient trop mauvaises.
Les manuels sont peu attractifs, photocopiés en noir et blanc, pas toujours très lisibles, ne donnant guère envie d’apprendre.
Certains textes sont obsolètes ou caricaturaux, d’autres sont trop compliqués.
Regret de n’avoir que peu suivis les classes de 3ème année, de n’avoir pu observer les étudiants de 4ème année partis en stage et de n’avoir pas eu le temps d’assister aux cours de littérature française. Mais mon séjour était sans doute trop court.
4. Le travail avec les professeur-e-s de l’Université nationale
Le public des 7 séminaires n’a cessé de se diversifier avec des collègues plus ou moins jeunes.
Il était constitué d’un noyau dur d’une douzaine de collègues auquel venaient s’ajouter, selon le sujet annoncé et leur disponibilité, des collègues du Département ou d’autres établissements (Ecole annexe, lycée Chu Van An, université Thang Long).
Les contenus ont été définis en commun, à partir des demandes des collègues qui se sont précisées au fil du temps.
● Qu’est-ce qu’une synthèse ? Quels sont les différents exercices de synthèse écrits et oraux ?
Clarification des notions, méthodologie et exercices d’application.
La synthèse de trois textes.
● L’argumentation
Quels sont les différents types de textes argumentatifs ?
Convaincre et persuader sur des textes littéraires comme Melancholia de Hugo et des articles de presse.
Les exercices d’argumentation : dissertation, écriture d’invention, commentaire.
L’accent est mis sur la dissertation, de l’introduction à la conclusion, exemple à l’appui et sur les types d’écriture d’invention que les professeurs peuvent faire pratiquer à leurs étudiants.
● Analyse de l’image.
Mise au point d’une méthode, d’un vocabulaire technique pour aboutir à l’interprétation de l’image simple (dessin humoristique).
● Points de civilisation abordés dans les manuels
Questions politiques et sociales en France : les partis politiques, les différences entre la gauche et la droite, les rapports partis-syndicats, le Cpe …
La famille en France, la condition féminine, les luttes des femmes pour la contraception et l’avortement, le divorce, le Pacs…
● Littérature française
Deux séminaires avec les cinq collègues dispensant cet enseignement.
La littérature française depuis 1980 : Olivier Adam, Michel Del Castillo, Annie Ernaux, Nancy Huston, Yasmina Khadra, Amin Maalouf…des noms révélateurs de la mosaïque française !
Littérature et cinéma : exposé historique succinct sur les rapports entre les deux formes d’art puis étude de l’adaptation de la nouvelle de Maupassant, Une partie de campagne par Jean Renoir.
5. Les séminaires dispensés à des professeur-e-s d’autres établissements
● Deux séminaires au lycée Chu Van An où enseigne Diep, une de nos Préfassiennes. Les six professeurs présents ont souhaité travailler sur la synthèse et la dissertation.
● Conférence dans l’amphi de l’IFI, à la demande de l’AUF
A la demande de Mme Van Dung, professeure au Département et responsable AUF.
Public composé d’une soixantaine de professeur-e-s qui enseignent la civilisation aux étudiants des pôles universitaires français.
Thème : les pratiques culturelles des Français.
● Séminaire aux « doctorants »
Sollicitation de Mr Binh, vice-doyen, pour travailler avec les étudiants-professeurs engagés dans la préparation d’un master ou d’une thèse, sur le plan à suivre, les codes rédactionnels.
Une vingtaine de participant-e-s.
● Deux séminaires à l’université Thang Long
A la demande d’une collègue du lycée Chu Van An travaillant également dans cette université.
1ère séance sur la façon d’enseigner la civilisation. J’insiste sur les moyens audio-visuels, irremplaçables pour faire saisir les réalités : émissions diffusées par TV5 Monde, Envoyé spécial par exemple, pour amorcer une séance sur les banlieues, le racisme, la cuisine française…
2ème séance sur la façon d’aborder un texte. J’expose la méthode que je suis avec mes élèves en France, ce qui leur ouvre des horizons mais impliquerait un programme de formation pour l’acquisition des notions nécessaires.
6. Matériel et documents pédagogiques
La bibliothèque pourrait faire l’objet d’une réflexion en termes d’acquisitions et de fonctionnement, en s’inspirant de la médiathèque l’Espace, Centre Culturel Français.
Les salles de classe: il serait souhaitable de les personnaliser avec des affiches, des images qui évoquent la France ; l’installation de téléviseurs permettrait de visionner tout ou partie d’un film de fiction ou documentaire, de travailler avec les étudiants sur l’image mobile, sur les questions de civilisation …
7. Rencontre avec Alexandre Minski, attaché de Coopération universitaire à l’ambassade de France à Hanoï
Avant mon départ, je suis allée rencontrer Alexandre Minski en compagnie de Tran Dinh Binh, le vice-doyen chargé des relations internationales. Nous avons eu un entretien très cordial pendant lequel j’ai rendu compte de mes activités et du succès de ma mission. Ce dernier m’a alors demandé si je reviendrais l’an prochain. Tel est le souhait de mes collègues, du vice-doyen Binh et de moi-même ai-je répondu…mais Préfasse souhaiterait bénéficier d’une prise en charge du billet d’avion par l’Ambassade. Alexandre Minski m’a rappelé les coupes budgétaires intervenues mais m’a assurée que s’il restait des crédits sur le budget en exercice, il penserait à nous.
8. Pistes de travail pour une prochaine mission
Réfléchir à des programmes cohérents par année, évitant les redites, rompant avec le principe d’empilement de textes mais privilégiant une approche par objectifs de savoirs et savoir-faire à acquérir.
Les étudiants n’auraient plus à apprendre des textes mais des notions et des outils, utilisables sur tout type de texte, ce qui donnerait aux enseignants plus de liberté pédagogique dans le choix des textes et des documents et éviterait le bachotage en vue de l’examen.
Sortir des textes presque exclusivement journalistiques étudiés. Etudier des extraits de textes littéraires contemporains dont la langue est plus facile d’accès pour les étudiants et qui, bien choisis, sont susceptibles de nourrir la connaissance de la culture française d’aujourd’hui.
Changer de manuels.
Construire des manuels de méthodes et techniques : résumé, synthèse, essai argumentatif…
Les professeurs de littérature regrettent de n’avoir pu travailler davantage avec moi et souhaitent que nous puissions réparer cela l’an prochain. Elles me proposent de venir observer leurs cours, de travailler avec elles sur leurs pratiques, notamment sur l’étude des textes.
Enrichir le fonds pédagogique –pauvre et ancien- par l’acquisition de manuels récents, manuels de méthode notamment.
9. Un bilan professionnel et humain très positif
Les professeur-e-s ont manifesté un fort désir de se former, de soumettre leurs pratiques à la discussion, de mieux connaître la culture française, pour être plus à l’aise et plus efficaces dans leur enseignement.
Les étudiants-e-s sont plus motivé-e-s et étonnés de la différence de pratiques, de gestuelle…de la professeure française.
Ces six semaines ont permis de nouer des liens de confiance et d’amitié qui ont rendus le moment du départ très émouvant.
La demande générale est que je revienne et que je reste plus longtemps afin d’approfondir le travail entrepris.
10. Le mot de la fin : difficile mais excitant !
Cette mission fut pour moi un exercice difficile. Comment me situer, faire émerger les besoins ? Comment ne pas paraître directive, avancer en douceur, tenir compte de nos différences culturelles ?
J’ai proposé des contenus et des méthodes au fur et à mesure que je constatais les manques. Et les collègues m’ont suivie. La direction m’a laissée beaucoup de liberté.
Elle fut aussi un moment de découvertes grâce à l’immersion dans le travail, au coude à coude avec professeur-e-s confronté-e-s aux problèmes quotidiens : salaire médiocre, nécessité de donner des cours supplémentaires… Et pour les femmes, en plus, les soucis de la maison et de la famille.
Pendant cette mission j’ai bien sûr retrouvé plusieurs de nos Préfassiennes et vécu des expériences inédites.
● Fête du village de Tai Mo, le village natal de Diep 2000.
● Fiançailles et mariage de la même Diep avec Quang. Mon premier mariage vietnamien!
Sous les pamplemoussiers du jardin familial, Diep est entourée de ses demoiselles d’honneur et Quang de ses garçons d’honneur.
● Rencontres avec d’autres Préfassiennes : Thu Ha au Cyclo Bar, un endroit pittoresque pour se restaurer au cœur de la vieille ville de Hanoi, Kim 1999 chez ses parents près de l’Opéra de Hanoï. Kim est en rouge entre Thu Ha et Chien.
Nombreuses balades entre femmes avec mon amie Hoa qui me fait découvrir des quartiers de Hanoï où les touristes ne vont pas, le village de la céramique à Bat Trang, Chua Thay, la pagode du maître des marionnettes. Fou rire de nous découvrir toutes rouges de poussière de latérite après le trajet en xe om (moto taxi) sur les digues !
Nous visitons la pagode Tan Tien, plus moderne et tape-à-l’œil, avec son amie Phuong. Nous y rencontrons des psychologues français membres d’une association l’Adepase et nous avons une longue discussion avec le supérieur des bonzes.
Plus tard, nous dînons avec la jeune Hang et ses parents qui voudraient qu’elle aille au lycée en France. On discute du projet.
● Découverte de la cathédrale de Phat Diem : incrédule, malgré l’insistance de mon amie Dung, je refuse de croire que ce bâtiment n’était pas une pagode. C
C’est bien un édifice chrétien : la croix et les apôtres – gros plan sur Saint Marc et son lion –
en attestent…pas l’architecture !
● Sortie entre femmes – autour du 8 mars – dans la province de Bac Ninh : le temple des Ly à Den Do, la maison communale de Dinh Bang, la fabrique de Phu Tê (gâteaux de riz cuits à la vapeur dans des feuilles de bananier), la très belle Chua Dau à But Thap, les briqueteries dont j’adore les lignes et les couleurs délavées.