Mission 9 – Chapitre 5
L’heure des bilans
Début décembre – Depuis deux jours, le froid a subitement soufflé sur Hanoi, venant du Nord. Comme les salles de classe ne sont pas chauffées et comportent de nombreuses aérations, il faut éviter les courants d’air et mettre chaussettes et foulards. Les deux jours précédents il faisait une chaleur lourde, signe du changement de temps selon les Hanoïens. Aujourd’hui dimanche – électoral en France – le soleil chauffait à nouveau et j’ai travaillé avec la porte ouverte pour laisser entrer la chaleur.
● Des fêtes, encore des fêtes !
Samedi 31 octobre, 60ème anniversaire du Département de russe, le plus ancien. La veille, des sociétés de service installent des stands, de gigantesques parasols pour abriter tables et chaises enjuponnées. Les anciens étudiants se retrouvent pour le déjeuner puis se quittent. Démontage des parasols géants mais les étudiants continuent la fête. La musique envoie les décibels jusque tard!
Samedi 7 novembre, 8h30, je suis invitée pour le 60ème anniversaire de l’Université. Un cérémonial imposant, des bouquets de fleurs à foison, des discours – du Recteur, de Madame Nguyen Van Dao vice-présidente du Vietnam …-, un spectacle avec orchestre dans le grand amphithéâtre de l’Université où je suis invitée à entrer, en marchant sur un tapis rouge. A l’intérieur, les officiels vietnamiens et étrangers sous le regard de Ho Chi Minh.
Préfasse est cité comme partenaire de l’Université, entre une banque chinoise et une compagnie japonaise !
Un ancien collègue et doyen de français m’offre son bouquet de fleurs à la fin de la cérémonie. Des parasols géants et des stands ont été remontés la veille. Chaque Département de langue devait décorer son stand. Que d’heures passées par les étudiants du groupe de la Jeunesse communiste ! Il est vrai que leur installation est réussie avec sa tour Eiffel surplombant les autres stands. J’accompagne Pierre-Yves Turrelier, Conseiller d’Education de l’ambassade au lieu de restauration et nous nous arrêtons près de la tour Eiffel.
Vendredi 13 novembre, 60ème anniversaire du Département de chinois, le deuxième plus ancien. 1955, c’était l’époque où l’URSS et la Chine étaient les deux alliés majeurs.
Des stands ont été remontés, des parasols géants tendus. La musique se déchaîne sous mes fenêtres. Il faudra attendre minuit pour que les décibels s’éteignent.
Et le lendemain matin, rebelote. J’émigre dans mon bureau où les décibels arrivent assourdis.
Vendredi 20 novembre, fête des enseignants
Depuis le début de la semaine, on voit tel ou telle professeur(e) arriver à la salle des professeurs avec un bouquet de fleurs ou un cadeau. C’est la tradition. Il me semble que les bouquets sont moins nombreux que lors de mes premiers séjours en 2006-2007.
Pas de cours le vendredi mais le repas est anticipé le mercredi. Les cours s’interrompent à 10h30 car il faut faire la photo de famille et déjeuner à 11h avec les nombreux collègues retraités.
● Jours de deuil en France et dans le monde après le 13 novembre
« Ma France ». C’est le choix que j’ai fait pour rendre hommage aux morts et aux blessés dans les attentats du vendredi à Paris. Ecouter et commenter la chanson de Jean Ferrat lors du séminaire du lundi 16, pour réaffirmer les valeurs de la France contre la barbarie et l’obscurantisme.
De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine
Je n’en finirais pas d’écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d’été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche
Quelque chose dans l’air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnait le vertige
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France
…
● Le travail continue avec des hauts et des bas
Au registre des contrariétés
L’observation de cours qui se déroulent mal dans les classes de professeurs débutants: manque de préparation, manque de maîtrise du vocabulaire ou de la grammaire, utilisation excessive du vietnamien, sollicitation insuffisante des étudiants, absence d’ouverture, monotonie… Or ces professeurs sont peu disponibles pour que nous travaillions ensemble : ils sont engagés dans un master, donnent leurs cours principaux + des cours supplémentaires. Donc fatigue et manque de recul et de réflexion.
Certaines fois je suis amenée à redresser des stéréotypes véhiculés par les étudiants ou les professeurs mais je n’avais encore jamais eu à le faire à propos d’un texte présenté dans un manuel.
En observant une classe, j’ai découvert un texte obscurantiste dans Alter Ego 2 décrivant les différences hommes-femmes et affirmant qu’elles s’expliquent par une évolution distincte des structures cérébrales des deux sexes ! Double choc car le professeur a confirmé ces propos, et s’est amusée du fait que « les hommes veulent du pouvoir et de la réussite alors que les femmes veulent des relations affectives et la stabilité », que « les femmes critiquent les hommes parce qu’ils ne peuvent faire qu’une chose à la fois, alors qu’elles parlent en faisant d’autres tâches en même temps. » Le grand savant qui affirme ces thèses pseudo-scientifiques est un certain Allan Pease, psychologue australien…qui gagne beaucoup d’argent avec ses bouquins !
J’ai heureusement beaucoup de bons moments !
Le travail sur l’Etranger d’Albert Camus avec Phuong Lan, le mardi après-midi, me plonge en pays aimé, la littérature, mais permet surtout de constater les progrès effectués par « ma doctorante » dans l’analyse du texte.
Depuis un mois, les séances du mercredi après-midi, avec Anh Tu et deux autres professeurs motivés qui devront enseigner avec ce manuel au 2ème semestre, sont fort intéressantes. Nous y étudions les textes et les méthodes proposés dans Alter Ego 5, un manuel exigeant : techniques pour la synthèse de documents, textes de Michel Serres, de Simone Weil…
A l’occasion de la fête des enseignants du 20 novembre, je reçois un cadeau et une carte de vœux des étudiants de littérature ; à la fin du séminaire, mes « jeunes profs » ont préparé un goûter-surprise.
J’avais déjà travaillé sur l’analyse filmique en classe mais avec un seul professeur en 2011-2012. Cette fois, j’ai initié une très bonne classe de 2ème année au moyen de la bande-annonce de Timbuktu d’Abdherramane Sissako. J’y ai aussi consacré deux séminaires des « jeunes professeurs ». Premiers éclairages sur la ville de Timbuktu, le Mali, AQMI et le MNLA, les évènements de 2012 sur lesquels s’appuient Sissako. Après j’ai présenté le vocabulaire de base : séquence, plan, taille des plans, angle de prise de vue, mouvements de caméra, bande-son… et nous avons pu analyser la bande-annonce. La dé-cou-ver-te ! Un public très intéressé dans les deux cas.
Pour mon départ, les étudiants de la classe où j’ai le plus travaillé m’ont offert un carnet souvenir, sur lequel ils ont écrit des mots qui parlent des connaissances nouvelles, de la tolérance et de la philosophie, de citoyenneté et d’ouverture au monde. Comment ne pas avoir chaud au cœur ?
● Des loisirs et des repas partagés
Un vendredi soir à l’Espace, avec Lien et Canh Linh, ses fils de 11 et 12 ans, un copain de 15 ans et Lucile, une étudiante française qui suit les cours de licence au Département. Après le restaurant thaïlandais, petite balade le long du lac Hoan Kiem joliment éclairé, avant de nous installer devant l’écran. Au programme, Du vent dans mes mollets, un beau film sur l’amitié de deux gamines au caractère différent, et la rencontre de leurs familles de style opposé. Un film drôle et grave à la fois.
Le lendemain, j’étais invitée chez Anh Tu pour dîner et aller au spectacle IONAH (Hanoi à l’envers). Très sympa! Un bon dîner, un spectacle de qualité: mélange d’arts du cirque, de comédie musicale éclectique, d’images numériques créant des décors d’univers variés (forêt à la Tim Burton, toits de Hanoi…).
Dîner chez Diep à Tai Mo : les enfants ont grandi ! En 2006 j’étais présente au mariage de Diep, une de nos deux Préfassiennes 2000 avec Thu Ha de Grenoble. Les deux familles vont se rencontrer à Hanoi en février car Gilles, Ha et les deux garçons vont rendre visite à grand-mère Loan pour le Têt.
Et le mariage de Tu Linh, notre Préfassienne 2015 !
Je la connais depuis 2011, lorsqu’elle était étudiante. J’ai apprécié sa curiosité, son énergie et sa vivacité. Nous avons approfondi notre connaissance mutuelle lors de son séjour en France l’été dernier et les liens avec sa famille se sont encore resserrés.
Comme d’habitude, les derniers jours, les invitations s’enchaînent : dans la famille de Thu Ha, de Hoai, de Tu Linh, d’Anh Tu, chez Bich, chez Lucile.
Sans oublier le repas d’au revoir, toujours émouvant.
Les deux derniers jours, escapade entre femmes
A l’initiative de Dang Thuy, nous partons vers Ninh Binh et la baie d’Ha Long terrestre. Les six jeunes femmes qui m’accompagnent se réjouissent de ces deux jours sans mari, sans enfants, sans contrainte. Deux jours de repos.
Le paysage est toujours aussi magique. Le site des temples des dynasties Dinh et Lê a embelli grâce à des restaurations et des aménagements. Curiosité, c’est qu’en ce jour de décembre, il faisait frais lors de la balade en barque ! Expérience inédite pour ma cinquième visite !
Samedi, je prends l’avion du retour.