Un week-end à Nam Dinh
A Nam Dinh – Septembre 2006
Un week-end au pays de Trân Hung Dao
« Vous êtes madame Régine ? Vous nous avez enseigné ce matin. » J’étais à l’Espace occupée à regarder des revues à la Médiathèque. C’est ainsi qu’a commencé mon amitié avec Thuy, étudiante de 1ère année, originaire de Nam Dinh.
Elle découvrait Hanoi, la grande ville, où elle allait pouvoir se consacrer à son amour du français. Au printemps, nous nous sommes souvent promenées dans la ville en sortant de l’Espace. Nous sommes souvent rentrées ensemble par le bus jusqu’à l’université. Elle me parlait du Vietnam, de sa famille, de ses projets. Je lui parlais de la France. Son français progressait. Lorsque j’ai fait sa connaissance au printemps 2006, elle était en classe « normale ». Grâce à son travail, elle est passée en classe « d’excellence » en 2ème année.
A l’automne, elle m’invitait à passer un week-end à Nam Dinh, dans sa famille.
Le général Trần Hưng Đạo est un héros national, vainqueur des envahisseurs mongols en 1288 sur la rivière Bạch Đằng. Il utilisa la même tactique que Ngô Quyền qui a vaincu les Chinois au même endroit en 938 : utiliser la marée pour masquer les pieux plantés sous l’eau afin de faire échouer les bateaux. Plusieurs tableaux du musée d’Histoire de Hanoi montrent les bateaux empalés, pris d’assaut par les Viets.
Chaque ville du Vietnam a sa rue Trần Hưng Đạo, considéré comme un libérateur du pays. C’est l’adresse de l’ambassade de France à Hanoi.
Vendredi – Nous prenons le train pour Nam Dinh à la gare de Hanoi (Ga Hanoi) dans un wagon climatisé, plus confortable que d’autres wagons aux sièges en bois et non climatisés qui m’évoquent les wagons de 3ème classe de mon enfance. Deux heures plus tard, vers 17h, nous arrivons à destination, à 85 km au sud-ouest de Hanoi. Beaucoup d’animation sur le quai. A la sortie, des cyclos proposent de nous emmener mais la maison n’est pas loin, nous y allons à pied. La mère de Thuy arrive à notre rencontre. Une petite femme alerte et souriante, qui me prend par la main.
La maison est modeste, tout en longueur, divisée en deux pièces. Les murs sont peints en jaune. La charpente de bambous supporte les tuiles et la hauteur du bâtiment a permis la construction d’une mezzanine. La deuxième pièce, plus petite, ouvre sur une courette qui sert de cuisine. Sous un appentis brûle un petit fourneau alimenté par des briquettes de charbon. La bouilloire siffle doucement, l’eau est chaude. Pas de gaz, pas de frigo. On achète les provisions au fur et à mesure dans les boutiques des alentours. Les toilettes et la douche ouvrent sur la courette.
Selon la coutume, nous mangeons quelques fruits avant le repas : fruits du dragon à la chair blanche piquetée de minuscules pépins noirs, succulentes petites bananes, réservées aux rois me dit-on. Le voisin conducteur de cyclo nous rend visite. Il compare Trần Hưng Đạo à Napoléon.
Le repas est délicieux : crevettes grillées, bouillon au liseron, bœuf au gingembre, et riz, bien entendu. La cousine de Thuy, 14 ans, habite ici car la maison est trop triste depuis le départ de Thuy. Pendant que je prends la douche, à l’ancienne, comme dans le film La Verticale de l’été, Thuy prépare mon lit dans la grande pièce : moustiquaire, ventilateur, couverture sur la natte pour en atténuer la dureté. Le matin tôt, les bruits montent de la ruelle. Après le pho, nous partons en cyclopousse pour visiter la ville et les environs, accompagnées du père de Thuy.
Samedi – Premier arrêt à la tour du Drapeau, construite en 1848 par les Nguyen –dernière dynastie du Vietnam- bombardée en 1972 par les Américains et reconstruite en 1997. Elle m’évoque celle de l’avenue Dien Bien Phu à Hanoi. Il n’en existe que trois au Vietnam, avec celle de Hué, et celle-ci fait la fierté de la ville. Le gardien, un vieux monsieur très souriant, nous ouvre l’accès à la tour, commente la construction et nous parle de cette femme de dignitaire, morte pendant le bombardement en aidant les soldats, aujourd’hui vénérée à l’autel du rez-de-chaussée. Nous montons les 54 marches. Vue panoramique sur la ville, l’église, l’usine textile et la pagode en contrebas.
En face de la tour, une pagode originale et gracieuse avec ses bas-reliefs colorés. Puis le cyclo nous arrête sur la grande place où s’élève le monument à Trần Hưng Đạo, entouré de pieux pour rappeler la stratégie adoptée par le général.
Un peu plus loin, le lycée de Thuy. Nous ne pouvons entrer mais le bruit se répand qu’une Occidentale est en bas. Les balcons se chargent de lycéennes.
Grande affluence au temple des Trân car c’est le 706ème anniversaire de la victoire contre les Mongols. Des femmes en costumes traditionnels apportent des offrandes sur des plateaux portés sur la tête. De très beaux panneaux sculptés séparent la première salle de celle des trônes miniatures des treize empereurs Trân. Un vieux monsieur à longue barbiche nous explique le sens des bas-reliefs qui racontent les victoires contre les Mongols.
Affluence énorme également à la pagode Pho Minh (chùa Phổ Minh), datant de la fin du treizième siècle, qui se signale par sa gracieuse tour à treize étages surplombant deux bassins couverts de lotus et par le tombeau de Trần Nhân Tông, quatrième de la dynastie.
Retour à la maison en cyclo. Il fait très chaud. Le repas est bon. Après le café, je ne me fais pas prier pour la sieste ! Puis on se met à préparer la soupe de crabe. Le petit cousin nettoie les crabes pendant que Thuy lave ses cheveux avec une décoction de « fèves » et les adoucit avec du citron. Je me régale avec la soupe et deux pommes-cannelle. Visites du frère de Tinh, la mère, et de sa petite sœur. Thuy traduit : vous êtes mariée, vous avez combien d’enfants, vous avez quel âge…les questions habituelles. Le grand frère est militaire en retraite. La petite sœur fabrique des sacs qui sont vendus à Hanoi.
Le lendemain matin dimanche, chacun vaque à ses occupations : la jeune cousine part en cours vers 7h, le père va rendre visite à une proche à l’hôpital, la mère part en courses.
Dimanche – Nous repartons en cyclo vers le temple Bao Lac, construit sur le lieu de naissance du général. La végétation est luxuriante : rizières, bananiers, bougainvillées, lotus, liserons en fleurs, déploient leur palette de verts. Le chemin devient « cahotique ». Nous arrivons. La foule qui débarque des minibus est encore plus intense qu’hier. La ferveur plus grande encore. Des femmes vêtues de costumes colorés entrent en transe. L’une jette des offrandes à la ronde. Dehors les fidèles brûlent des faux billets et des faux lingots d’or dans un four. La fumée qui monte vers les morts les aidera dans l’au-delà.
Retour à Hanoï en bus car le typhon qui ravage le centre du Vietnam a coupé les communications ferroviaires. Le minibus est bondé bien sûr. Il slalome pour doubler les véhicules plus lents et hétéroclites. Les bords de la route sont jonchés de la paille de riz rejetée par les batteuses. La nuit tombe. Je réponds aux nombreuses questions de deux étudiants assis à côté de nous, au fond du bus, et qui sont très curieux d’avoir mon avis sur le mode d’enseignement vietnamien comparé à la France.
Vers 17h, arrivée à la gare routière de Ben Xe Giai Bat où nous retrouvons l’effervescence de la grande ville, puis le bus 32 pour rentrer à l’hôtel. Je quitte Thuy qui a encore quatre arrêts pour rejoindre sa chambre à la cité. Je rapporte un régime de délicieuses petites bananes, croquantes et parfumées…cadeau de la maman de Thuy.
Le temps s’est mis au gris, effet de la tempête qui sévit dans le centre sans doute : il pleut légèrement et il fait un peu plus frais.
Cette immersion dans une famille provinciale et modeste où j’ai été choyée pendant deux jours reste un grand souvenir de mes premiers séjours au Vietnam.
RH
Août 2017